Ramzi Bouhlel (45 ans) est manager sportif et coordinateur dames de « son » club. Homme passionné, pressé et plein d’ambition, il a trouvé une heure dans son agenda très chargé pour revenir sur les origines du club, sur les valeurs du RWDM Girls Brussels et sur ses ambitions.
Ramzi, racontez-nous l’histoire de notre club !
Il y a 4 étapes importantes.
1) je donnais des cours de foot à des enfants
Lorsque j’étais animateur sportif dans une école primaire de Molenbeek-Saint-Jean, je donnais des cours de foot à des enfants, filles et garçons. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de club dans ma commune pour accueillir les footballeuses. Alors, j’ai organisé des matchs entre écoles. Très vite, je me suis retrouvé avec plus de 40 filles… et des parents intéressés par les voir inscrites dans un vrai club. Nous étions en 2010.
À l’époque, il n’y avait que trois clubs qui comptaient au moins une équipe de filles en U13 ou U15 : le Sporting d’Anderlecht, le Fémina White Star Woluwé et le V.K Berchem. Certaines filles ont fait des tests au Sporting, aucune n’a été retenue. Mais le talent était bien présent.
2) On a créé une équipe de filles
J’ai commencé à entrainer 12 filles, une à deux fois par semaine. Puis j’ai eu un contact avec le club Académie Jeunesse Molenbeek. On a créé une équipe de filles (FC Jeunesse Molenbeek), qui jouait contre les garçons. Puis le nombre de filles a augmenté après un an ! Hélas, il n’était pas possible d’inscrire une 2e équipe en raison d’une infrastructure limitée. On a encore joué un an (en finissant champions).
3) On fonde FC Molebeek Girls
À la fin de la saison, en juin 2013, je décide de fonder FC Molenbeek Girls avec ma femme et quelques bénévoles. On a obtenu quelques heures d’entrainement de l’Échevin du Sport de la commune. On a inscrit trois équipes en championnat en U 13, U16 et une Dames en 3e provinciale. Pour la partie récréative, on a créé une U9, une U11 et une Dames.
Cette année-là, on a fait monter l’équipe P3 en P2, on avait 40 filles et on a triplé l’année suivante ! D’autres équipes ont été dès lors créées, pour le sport et la détente. Nous sommes en 2015. À la fin de l’année, énorme succès pour notre club puisque nous gagnons la Coupe de Belgique en 2016 (voir infra) !
4) La section RWDM Girls Brussels voit le jour
Je connaissais le président du RWDM, Thierry Dailly. Je lui ai demandé si les filles pouvaient porter le maillot du RWDM. Ce n’était possible en raison d’un souci juridique, mais finalement, le RWDM a pu créer sa section féminine RWDM Girls Brussels. On a conservé le matricule tout en bénéficiant du logo, de partenariat divers, etc.
On a pu l’année suivante jouer avec le nom du RWDM, dans ses infrastructures. Le club s’est donc « féminisé » avec plus de 200 filles. On est monté de P2 en P1. Le succès fut total ! C’est à présent notre 5e saison sous ce nom, plus de 300 filles, une équipe de futsal en D1, trois équipes de Dames, une équipe de mamans, des équipes récréatives…
Nous sommes le seul club féminin de Belgique (300 joueuses) qui vise l’ambition sportive et l’intégration sociale.
Il faut des subsides pour un club de cette ampleur…
En effet, sans appui logistique ou financier, pas de club. Le comité du RWDM Brussels a beaucoup travaillé pour bâtir une structure et introduire dossiers de subsides et appels à projets. Nous avons deux piliers : le sportif et le social. Par exemple, toutes les filles sont acceptées dans le club, peu importe l’âge, le niveau ou leur commune.
Par ailleurs, on contribue aux cotisations de certaines filles qui avaient des difficultés financières. En outre, on essaie de placer nos filles dans le club quand elles ne jouent plus : comme entraineuse, arbitre ou encore déléguée. Enfin, on crée des stages de foot, des tournois… Tout a pris un sens : le social fait équipe avec le sportif.
L’argent le nerf du football féminin, aussi ?
Oui, aussi. Nous avons obtenu des succès de la part du public, mais aussi du privé grâce à l’arrivée de la présidente Tania Dekens. On arrive ainsi à frapper aux portes du secteur privé. C’est indispensable puisque nous avons un budget de quelque 20.000 euros de matériel, répartis sur six sites.
Parlons à présent ambition sportive…
On garde notre équilibre 50 % sport / 50 % social. Mais nous perdons chaque année des filles. Leurs conditions de vie sont en effet plus compliquées que celles des hommes. Étude, famille, sport et ambition… combiner le tout n’est pas évident.
Par ailleurs, Molenbeek est aussi une commune de transit. Il y a donc beaucoup de mouvements in/out, mais toutes les filles gardent un bon souvenir de leur passage chez nous.
Y a-t-il beaucoup de femmes dans le staff du club ?
On travaille le sujet. On forme actuellement 6 entraineuses, on forme aussi les plus jeunes de 16, 17 ans. Par ailleurs, on a 8 joueuses entre 16 et 22 ans qui suivent une formation d’aspirante. Notre objectif est d’avoir d’ici 4 ans 50 % d’entraineuses dans le RWDM Girls Brussels.
Pourriez-vous expliquer le volet social de notre club ?
Grâce au soutien de la VGC, une personne consacre 24 heures par semaine à aider les filles. On a par exemple édité un petit livre représentant toutes les aides de la mutuelle, les chèques sport, le CPAS, les adresses de différentes ASBL…
On bénéficie aussi d’une « coach sociale » qui accompagne les filles, au cas par cas. Notre volonté : que les filles restent dans le club, qu’elles puissent s’y épanouir. Et que ce ne soit pas un problème d’argent pour elles.
Quel fut le moment le plus émouvant pour vous ?
En mai 2016, on gagne la Coupe de Belgique devant une équipe plus forte que nous sur le papier. C’était à Saint-Nicolas en Flandre. Souvenez-vous, deux mois avant, Bruxelles était frappée par des attentats. Nos filles ont été insultées, traitées de terroristes… Comme on dit, elles ont répondu sur le terrain, avec leur « grinta ». Quel souvenir dans le bus au retour !
Il faut aussi se souvenir de la situation chaotique de l’époque à Molenbeek. Les hélicoptères dans le ciel, l’armée et la police partout, les rues barrées… Difficile de s’entrainer aussi.
Quelle fut l’anecdote la plus drôle que vous avez vécue ?
J’ai reçu une plainte de la maman d’une fille de 14 ans vraiment dingue de foot. Sa maman ne voyait pas cela d’un bon œil et a voulu l’initier à la cuisine. Cela n’a pas vraiment réussi puisqu’elle a vu un soir sa fille jongler avec des tomates !
Quelle est la vision de la société par rapport au foot féminin en général ? Médias, machisme, relation hommes / femmes, mentalités…
Les mentalités évoluent, mais c’est très lent. En 2010, si on demandait à un papa le sport que pourrait pratiquer sa fille, le foot ne serait jamais cité. La société était fermée à l’époque, peu importe les origines de la fille, d’ailleurs. Cela bouge dans le bon sens, mais trop lentement. Par ailleurs, le football féminin et le foot masculin sont deux mondes différents. Actuellement, on n’a aucun club professionnel féminin en Belgique ! Cela doit évoluer.
Comment voyez-vous l’avenir du RWDM Girls Brussels ?
Avec ambition sportive ET sociale ! Et notre nouvelle présidente nous pousse à aller plus loin. Encourager les nouvelles joueuses, atteindre la Nationale, représenter la Belgique dans des tournois internationaux. Tout en donnant une perspective à nos filles. Qui sait, peut-être trouverons-nous bientôt la future ‘Chadli ou Fellaini au féminin ! Le besoin d’identification aux stars est le même chez les filles. Et enfin, il faut bien sûr aussi que le financier suive.